Nuit blanche et roses rouges

Dans le XVIIe arrondissement de Paris, un fleuriste reste ouvert toute la nuit. C'est le seul de la capitale à faire le pari du 24h/24. Un lieu prisé des travailleurs du soir. La nuit précédant la Saint-Valentin, les professionnels s’activent plus que jamais pour satisfaire les amoureux transis.

Tout près du parc Monceau, dans le XVIIe arrondissement de Paris, la devanture lumineuse d’un fleuriste contraste avec la pénombre de la nuit. Il est minuit passé, ce jeudi 14 février, et des clients entrent et sortent de la boutique en continu. A l’intérieur, ça déborde de fleurs. Des hortensias, des cyclamens, des azalées… et des roses. Beaucoup, beaucoup de roses. Il en faut pour les premières heures de la Saint-Valentin, où les commandes hors normes fleurissent. « Chaque année, on livre à deux clients différents deux bouquets de 200 roses, à minuit pile. En fait, ce sont deux copains qui font le même coup chaque année à leur femme », raconte John, un grand gaillard de 40 ans, employé de la boutique.

Le patron de l’établissement, un imposant monsieur aux cheveux blancs, revient tout juste d’une livraison. Charles-Henri Garnier a repris Elyfleur il y a cinq ans, après avoir été remercié par l’entreprise dans laquelle il était cadre. Un choix qui ne doit rien au hasard. « Quand j’étais plus jeune, j’habitais déjà le quartier. Je venais souvent ici au milieu de la nuit acheter des fleurs pour ma copine de l’époque… », se remémore-t-il. Passionné de fleurs et noctambule aguerri, il décide de perpétuer l’histoire de ce commerce pas comme les autres.  « Depuis sa création il y a trente ans, la boutique a toujours été ouverte la nuit, raconte-t-il. Quand j’ai repris cette affaire, pas une seule seconde je me suis dit que j’allais la fermer le soir. C’est notre marque de fabrique et ça donnerait un très mauvais signal aux habitués. »

Passionné des fleurs, Charles-Henri Garnier a repris la boutique il y a cinq ans.

La plus longue nuit de l’année

Charles-Henri Garnier commence ses journées au petit matin, au marché de Rungis, où il récupère la marchandise. Il n’a pas d’horaire fixe mais peut compter sur John pour recevoir les clients entre 22h30 et 6h30 du matin. Des horaires exceptionnels, qui exigent un grand sens de la diplomatie avec les clients. « La nuit, c’est un monde à part. Les gens sont différents du jour, la clientèle n’est pas la même. On interagit différemment avec eux, il faut plus de tact », explique-t-il en composant un bouquet à destination de l’un des clients. « Je me souviens de quelques Russes durant la nuit de la fête des mères, ils sortaient de boîte, ils étaient bourrés et énervés… Dans ce cas-là, on ne discute pas trop du prix », ajoute-t-il en riant.

Employé à Elyfleur depuis vingt ans, John estime réussir à concilier travail nocturne et vie de famille. « Le matin je dors un peu, puis je dépose les enfants à l’école. Ensuite, je dors à nouveau. Quand mes enfants sortent de l’école et ma femme du travail, on dîne tous ensemble et ensuite je pars travailler. »

Durant la nuit de la Saint-Valentin, la plus importante de l’année pour Elyfleur, John sert près d’un millier de clients. Pour assurer le coup, une deuxième personne lui prête main-forte, spécialement engagée pour cette nuit-là. « De minuit à une heure, c’est le rush. Ensuite, ça se calme. Puis ça reprend aux alentours de quatre heures du matin », explique John, au rythme des clac clac de l’agrafeuse.

Depuis vingt ans, John consacre ses nuits à sa profession de fleuriste.

Amoureux pressés

Ce soir, les clients n’ont qu’une demande à la bouche : un bouquet de roses rouges. Ils sont policiers, hôteliers, taxis, chauffeurs VTC, restaurateurs et viennent tous de terminer leur service. Ils sont pour la plupart des habitués, comme c’est le cas d’Honoré, la quarantaine. « Je suis un coucou de nuit. Chaque année, j’ai l’habitude d’acheter mes bouquets ici à la sortie du travail. Comme ça, quand ma femme l’aura demain matin, je pourrai faire ronflette », explique-t-il pris d’un fou rire.

Il est bientôt deux heures du matin quand Thierry, 69 ans, se présente à la caisse. « Je suis restaurateur, je viens de quitter mon travail, je suis venu ici car je sais que c’est le seul fleuriste ouvert tard le soir », confie l’homme aux yeux bleu hortensia. « Ma femme m’attend pour un court dîner, je dois me dépêcher », confesse-t-il, en repartant dans la noirceur de la nuit, un bouquet de roses rouges à la main.

Texte : Guillaume Gosalbes

Photos et vidéos : Adrien Develay