« Les nocturnes des musées, c’est une ambiance presque magique »

Les musées proposent de plus en plus d'ouvertures nocturnes. Un moyen d'attirer un nouveau public, mais aussi de lui proposer une expérience différente.

Dissimulée derrière des grilles et des arbres, la Fondation Cartier pour l’art contemporain est presque invisible dans la nuit. Dans la file d’attente, beaucoup de Parisiens et Parisiennes de moins de 40 ans, pressés d’admirer les imposantes sculptures de l’exposition « Géométrie Sud ». Étudiants ou salariés tout juste sortis du travail, ils font partie d’un autre public que le musée du quatorzième arrondissement de Paris cherche à attirer avec ses nocturnes. Une nouvelle stratégie, de plus en plus populaire dans le secteur.

Normalement, la Fondation Cartier ferme à 20 heures. Mais tous les mardis, elle joue les prolongations jusqu’à 22 heures. Dans la salle principale, moins d’une dizaine de personnes se promènent entre les sculptures de fer forgé. Chiara, 35 ans, reste plusieurs minutes devant la construction en pierre d’un artiste mexicain. C’est une habituée des nocturnes : « Je ne fais presque plus que cela ! La semaine je travaille trop tard et le week-end, il y a beaucoup trop de monde. S’il n’y avait pas la nocturne, je ne pourrais pas aller au musée aussi souvent que je ne voudrais ».

La nuit, les oeuvres de la Fondation Cartier se reflètent dans les baies vitrées. © Joanna Chabas

La Fondation Cartier n’est pas la seule à proposer des nocturnes. Le musée du Jeu de Paume, consacré à l’image et la photographie, tente aussi de séduire de nouveaux publics avec une nocturne le mardi. Au Mémorial de la Shoah, la nocturne du jeudi compense la fermeture le samedi. À la Cité de l’architecture et du patrimoine, elle permet d’accueillir les visiteurs, de plus en plus nombreux : « On est presque obligé de le faire, pour que les gens ne soient pas noyés dans la foule », explique l’institution, selon qui les nocturnes sont devenues quasiment indispensables à tous les musées parisiens. Même son de cloche du côté du Palais de Tokyo, qui propose des nocturnes depuis son inauguration en 2002 et ouvre jusqu’à minuit tous les jours sauf le mardi. « C’est notre identité même, pour nous c’est impossible de revenir là-dessus, explique Marion Buchloch, responsable de la médiation culturelle. On ne voulait pas un musée avec des horaires classiques mais un centre d’art, un vrai espace public de partage ».

La magie d’une nuit calme

L’objectif : attirer des visiteurs qui ne pourraient pas venir à un autre moment. La Fondation Cartier accueille ainsi entre 150 et 200 personnes sur ces deux heures d’ouverture supplémentaires. La direction du musée assure que cela peut représenter près d’un quart des visites de la journée. « Une journée avec une nocturne, c’est l’équivalent pour nous d’un jour de week-end », explique un chargé du public.

La journée, les musées accueillent en majorité des familles et des groupes scolaires. La nuit, tout est différent. La Fondation s’ouvre à des jeunes actifs venus surtout en couple ou en petits groupes. Maxime est accompagné de ses amis. Le jeune homme de 29 ans est ravi « parce qu’il n’y a pas d’enfant ! », rigole-t-il.  « C’est calme, il n’y a personne qui crie, pas des rires trop forts, pas de foule… C’est vraiment une ambiance super sympa. » Le silence est frappant. Les visiteurs se permettent quelques commentaires à voix basse. Le son d’une oeuvre vidéo de l’exposition vient de temps en temps briser le calme de la Fondation.

A Paris, la Fondation Cartier joue avec les lumières et les ombres. © Joanna Chabas

Dans la nuit, les visiteurs s’amusent de leur reflet dans les baies vitrées. Le musée joue avec les ombres. La lumière est tamisée. Certaines oeuvres sont éclairées avec des lumières jaunes pour la chaleur. Pour d’autres, c’est le blanc, froid. « J’adore les nocturnes parce qu’on est dans une ambiance presque magique », confie Guilain, 33 ans. Ses yeux s’illuminent lorsqu’il parle de sa visite. « On comprend presque mieux les oeuvres. Avec les lumières artificielles, il y a un vrai travail pour nous faire regarder les sculptures avec un oeil neuf ». Au Palais de Tokyo, abrité par de nombreuses verrières, les sculpteurs intègrent le passage du jour à la nuit à leurs oeuvres. « C’est l’occasion de les voir différemment, analyse Marion Buchloch. La nuit, c’est le repli sur soi, le calme. Nous avons plus facilement des musiciens, l’ambiance est plus fantaisiste. On prend le temps de faire une pause, avec une vraie proximité avec les oeuvres. »

Mais ouvrir deux heures de plus augmente aussi les coûts. Ce mardi soir, au moins cinq médiateurs se relaient dans les salles de la Fondation Cartier, sans compter les frais de sécurité et de gardiennage. « La nocturne n’est pas forcément rentable, une exposition ne l’est jamais mais cela reste une aide, analyse un chargé du public. Elle permet d’amortir les coûts sur toute la durée de l’exposition. » Signe du succès de ce format, la Fondation Cartier a lancé des études pour proposer un deuxième soir de nocturne. « C’est devenu incontournable, le musée ne peut pas s’en passer. » Sans, pour l’instant, viser le même marathon que le Palais de Tokyo : pour fêter sa réouverture en 2012, le musée était resté ouvert trente d’heures d’affilée.