La télé zappe la nuit

Qu’ils soient insomniaques, fêtards rentrant de soirée ou en pause en travail de nuit, plusieurs centaines de milliers de Français allument chaque soir leur télévision entre 22h30 et 5h du matin. Avec un panel de programme de moins en moins originaux.  

C dans l’air, Tout le monde veut prendre sa place, Touche pas à mon poste, Les carnets de Julie… Les émissions proposées la nuit par l’ensemble des chaînes françaises pourraient se révéler alléchantes, si elles n’avaient pas déjà été diffusées le jour. La nuit, la télévision s’endort. Mais que ce soit pour l’information, le talk ou le divertissement, ce désintérêt n’a pas toujours existé.

De l’info jusqu’au bout de la nuit

 

Dès sa création en 1975, TF1 propose chaque soir son journal de la nuit. Carrefour stratégique de l’époque, ce JT est diffusé entre 22h et 1h selon les périodes. Jean-Pierre Pernault en était d’ailleurs un des présentateurs ! Ce format disparaît lors de la privatisation de la chaîne en 1987 pour laisser place à des flashs réalisés par LCI plusieurs fois dans la nuit. Ils seront abandonnés dans les années 2000.

Sa principale concurrente, France 2, a elle aussi longtemps proposé un journal de la nuit. Diffusé entre 22h45 et 1h30, il devient un “tout-en-images“ (pas de présentateur) en 2007 pour être finalement supprimé en 2013.

Dernier des Mohicans, Soir 3 résiste depuis plus de quarante ans sur France 3. L’émission, diffusée entre 22h30 et minuit en fonction de la fin du programme précédent, tient tête à la concurrence mais accuse une forte baisse de son audience. Il y a dix ans, ce journal pouvait réunir jusqu’à 2 millions de personnes chaque soir. Aujourd’hui, face à la puissance des quatre chaînes d’information, Soir 3 peine à aller au-delà des 700 000 téléspectateurs. « Les chiffres restent corrects », affirme Francis Letellier, son présentateur. « En moyenne, nous réunissons le double d’audience des quatre chaînes d’info cumulées. L’émission fait partie du cahier des charges historique de France 3. Si on veut retirer l’émission, cela veut dire qu’il faut changer le statut de la chaîne. Mais supprimer Soir 3, c’est inimaginable. » La direction de France Télévisions l’a pourtant envisagé il y a quelques mois avant de se rétracter.

 

Les années 2000 : l’âge d’or de la nuit

Aujourd’hui, les chaînes se concentrent sur la première partie de soirée, délaissant les deuxièmes et troisièmes parties (de 22h30 à 2h) sur lesquelles elles ont longtemps misé. TF1 diffusait jusqu’à tard dans la nuit des émissions comme Y a que la vérité qui compte ou la Méthode Cauet. Cette dernière réunissait jusqu’à 2,5 millions de téléspectateurs.

Certains programmes cultes ont réussi à briller dans ces cases nocturnes comme On ne peut pas plaire à tout le monde, présenté par Marc-Olivier Fogiel, qui réunissait en moyenne 2 millions de téléspectateurs sur France 3 à partir de 23h. Jamais égalé depuis.

Plusieurs chaînes ont tenté ces dernières années d’imposer un tel rendez-vous quotidien ou hebdomadaire. Sans réel succès. Alessandra Sublet et Un soir à la tour Eiffel n’ont tenu que dix mois à l’antenne en réunissant en moyenne 923 000 téléspectateurs sur France 2. Même score l’année suivante pour son remplaçant Frédéric Lopez et sa Folie passagère.

« Le contexte n’est plus le même », explique Benoît Daragon, journaliste spécialiste des médias au Parisien. « Le nombre de chaînes a explosé depuis 2005. Là où deux millions de personnes se divisaient sur cinq chaînes en 2001, elles se dispatchent désormais sur 26 chaînes. Il faut aussi prendre en compte le replay, Netflix, Youtube et les autres services du genre qui monopolisent de très nombreux Français. » Une évolution des habitudes des téléspectateurs qui explique ces rediffusions et cette pénurie d’offre nocturne. La nuit ne rapporte plus assez en terme de publicité pour se permettre d’investir dans des programmes originaux et inédits.

« Il reste quelque rendez-vous comme les émissions de Ruquier ou Arthur le weekend car les Français peuvent se permettre de rester éveillés plus tard », tempère Benoît Daragon. « Mais ce n’est plus du tout le cas pour les soirs de semaine. Faites entrer l’accusé devrait s’arrêter, Un jour, un destin(initialement diffusé en deuxième partie de soirée sur France 2, ndlr) va basculer sur France 3 pour pouvoir être diffusé en prime time. Il y a des signes qui ne trompent pas. »

Certains formats ont tout de même réussi à trouver leur public le weekend sans réaliser des scores incroyables. Vendredi 8 février, en deuxième partie de soirée, Arthur et son programme Diversion : ça continue réunissaient 1,54 million d’individus sur TF1 tandis que sur C8, Cyril Hanouna et Balance ton post débattaient devant 334 000 Français. Le lendemain, Laurent Ruquier et On n’est pas couché intéressaient 964 000 fidèles jusqu’à 2h30 du matin.

Des scores toutefois nettement inférieurs aux grandes heures de la deuxième et troisième partie de soirée des années 2000. De quoi convaincre les dirigeants de chaînes de définitivement zapper la nuit.