«Tu vis à l’heure du Québec ! » : quand l’insomnie perturbe vos nuits

Tourner, se retourner, se re-retourner dans son lit, mettre l’oreiller comme-ci ou plutôt comme ça… Les insomniaques connaissent bien cette routine, souvent vaine. Alors que tout le monde dort, comment essayer de vivre normalement, lorsque l’insomnie devient récurrente voire quotidienne ?

«C’est devenu normal pour moi d’être toujours fatiguée. Je ne me souviens même pas de comment c’était, avant », témoigne Alice, 26 ans et insomniaque depuis huit ans. Pour la jeune femme, en recherche d’emploi, l’insomnie est un cercle vicieux : « Moins on a de cadre et d’obligations, plus on est isolé ; plus on est isolé, moins on a de cadre et d’obligations, etc. Rapidement, la culpabilité s’installe : on n’est pas censés dormir en plein jour, ce n’est pas normal. »

Insomnie = isolement

C’est la peur de ne pas réussir à boucler ses fins de mois, couplée à d’autres inquiétudes, qui fait subir à Alice des insomnies quasi quotidiennes. « Mes journées s’organisent autour d’un objectif : comment faire pour être au lit à 23 h, heure idéale de mon coucher ? C’est un stress supplémentaire ».

Près d’un Français sur cinq souffre d’insomnies, selon l’Inserm. Sasha, 29 ans, a des insomnies depuis l’âge de 12 ans ; celles-ci ont pris une proportion supplémentaire entre ses 15 et 20 ans lorsqu’il est devenu aveugle, après une maladie. « J’ai perdu tout repère du jour et de la nuit, tout repère temporel. J’ai fait une violente dépression : je n’avais pas la force de retrouver un rythme de sommeil classique. Puis pendant quelques années, j’étais en freelance : travailler de nuit ne me gênait pas. J’en profitais pour discuter avec des copains installés partout dans le monde. Une amie canadienne me disait : “Tu vis à l’heure du Québec (six heures de moins par rapport à la France, ndlr) !” » Pour essayer de « recaler » ses horaires de coucher, Sasha – comme Alice – prend de la mélatonine, un médicament qui aide les voyageurs à se remettre d’un décalage horaire. Tous deux parlent d’une certaine accoutumance à cette hormone, dont ils espèrent pouvoir se passer à terme.

« J’ai la bougeotte »

Tous les témoins le disent : rester dans son lit quand le sommeil nous boude est inutile. Pierre-Yves, 70 ans, n’est pas un « angoissé de la nuit ». S’il dort peu, parfois une heure par nuit, c’est parce qu’il souffre du syndrome des “jambes sans repos”, des impatiences qui l’obligent à se lever et à marcher à toute heure du jour ou de la nuit pour tenter de les apaiser. S’il prend son traitement trop tard, Pierre-Yves sait qu’il dormira peu voire pas. Alors ce comédien a des nuits bien remplies. « Le temps passe lentement, mais il passe bien. La nuit, je sors marcher, je vais sur l’ordinateur, j’écoute la radio, j’écris… Je n’arrive pas à bien me concentrer, j’ai la bougeotte : je ne peux pas regarder une émission ou un film. » Le péché mignon de Pierre-Yves pendant ses insomnies : la cuisine. « La nuit dernière, j’ai cuisiné des carottes, avec des navets, de l’oignon, des feuilles de citronnier et j’ai fait revenir dans de l’huile d’olive. J’ai goûté le plat à 4h – c’était délicieux, j’ai dû me retenir pour ne pas en manger davantage. Le grignotage, c’est le piège ! ».

Sasha, 29 ans, confirme ces fringales nocturnes : « Certains se contentent d’un verre de lait et d’un biscuit ; moi je peux manger une tartine de pâté ou une tartiflette à n’importe quelle heure de la nuit ! », rit-il. Pour lui aussi, d’autres activités bien sûr ; mais il s’applique à les chronométrer pour éviter la nuit blanche : « Je m’occupe l’esprit mais avec des choses que je peux arrêter facilement : faire la vaisselle, prendre un bouquin. Je ne vais pas commencer à regarder une série qui dure une heure, par exemple. » Même type de rituel chez Alice, qui en profite pour aérer sa chambre et refaire son lit : « Puis je quitte la pièce, je vais fumer une cigarette, je dessine ou écoute un livre audio, je joue sur mon téléphone… Bref, les mêmes activités que le jour. En revanche, j’essaie de ne discuter avec personne, sinon je ne me couche pas. » Ces rituels rassurent Alice : grâce à cette routine, elle sait qu’elle finira tout de même par réussir à tromper l’insomnie.

 

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