« Ma journée a commencé il y a 15 ans » : Michel Forever, l’homme qui ne se couche jamais

À cause d’une pathologie, ce propriétaire de cabaret et représentant d’artistes ne peut pas dormir plus de 2h30 consécutives sans se mettre en danger. Loin de s'appesantir sur son rythme de vie hors norme, Michel Forever, 58 ans, préfère y voir « un cadeau de la vie ».

Michel Forever (un nom de scène, en référence au tube « Magnolia For Ever » de son idole Claude François) tient à faire une mise au point : « Ce n’est pas que je ne dors pas ; c’est que je ne me couche pas ». Lui qui a toujours été un petit dormeur – « même adolescent, je dormais trois ou quatre heures par nuit » – a pensé jusqu’à l’âge de 43 ans que ses siestes inopinées venaient d’un manque de sommeil. Des situations qui le mettaient parfois dans l’embarras, notamment lors de réceptions ou de dîners : « Encore aujourd’hui, les gens à côté de moi ont pour mission de veiller à ce que je ne m’endorme pas, à me donner des coups de pied si je sombre. »

En 2004, un examen du sommeil révèle que Michel est atteint d’une pathologie, qui reste encore une énigme. Seule certitude des médecins : l’homme n’a qu’un cycle de sommeil, celui du sommeil paradoxal, la phase du rêve. Myriam Ba, médecin généraliste de Michel Forever, témoignait en 2011 dans un reportage de la chaîne NRJ 12 consacré à son patient« Le seul sommeil dont il dispose, c’est le sommeil paradoxal, celui qui est réparateur. Il en a quand même besoin, comme nous tous. Mais il ne faut pas qu’il dorme trop : il a besoin de toutes petites périodes de sommeil pour récupérer, de la même manière que nous, on en a besoin de toute une nuit pour récupérer. »

Car Michel, aujourd’hui 58 ans, ne peut pas dormir plus de 2h30 consécutives : s’il dépasse ce temps de sommeil, il peut souffrir de très violents maux de tête et avoir ses membres paralysés pendant plusieurs heures. « Il y a deux mois, je me suis endormi pendant 4 heures. Au réveil, j’ai réalisé que mes jambes et mes bras étaient paralysés. Je suis resté bloqué trois heures, le temps que tout revienne à la normale» Dans les cas les plus extrêmes, Michel peut tomber dans le coma s’il excède son quota de sommeil.

Télé à fond et lumière dans le visage pour dormir

Alors pour ne pas prendre de risques, Michel Forever doit respecter plusieurs règles avant de s’endormir. « Il ne faut surtout pas que je m’allonge : il faut que je sois assis dans un fauteuil. Je laisse la télé allumée avec le son à fond et une lumière violente, comme des lasers, qui m’est projetée en plein visage. Sans cela, je ne peux pas sortir de mon sommeil », détaille-t-il. Impossible de compter sur les réveils : il ne les entend pas. Michel fait confiance à son horloge biologique pour se réveiller au moment voulu. Pour réduire ses somnolences, Michel ne prend pas de médicaments et ne boit pas d’alcool, sauf un verre de vin rouge de temps en temps « pour laver le sang ». Depuis, il dit n’être jamais tombé malade, pas même un rhume : « Les microbes, je les fatigue ! »

Michel affirme être rarement fatigué, « que si je me repose ! » Les divers examens médicaux subis auraient révélé que le cerveau de Michel récupère lorsque celui-ci… est actif, voire suractif. À 58 ans, il est donc un grand habitué des boîtes de nuit : il « danse, saute et chante » jusqu’au petit matin… sans jamais tomber de fatigue : « C’est comme une transe, ça me repose ! Quand je pars en vacances, je ne cherche pas un hôtel mais une discothèque. C’est mon médicament : autant dire que je ne coûte pas cher à la sécu », glisse-t-il. Après son spectacle de 2 heures, donné cinq soirs par semaine dans son cabaret parisien « La Main au Panier », au cours duquel il chante et danse en continu, il affirme être régénéré. Après une nuit de fête, lorsque ses amis vont se coucher, Michel, lui, retourne travailler, pour s’occuper de l’administratif de son cabaret. Une énergie incessante qui le fait vivre en quasi continu.

Mais Michel sait qu’il peut s’endormir à tout moment, surtout lorsqu’il n’y a pas de bruit ou qu’il ne discute pas. Et cela se passe très vite : en huit secondes. Alors il anticipe : l’habitacle de sa voiture est équipé de caméras, tout comme l’intérieur de son cabaret, qui en compte pas moins de 17 ! Grâce à un bouton, Michel peut activer les caméras lorsqu’il sent le sommeil venir : « Ma femme, Élisabeth, dispose d’un code pour accéder aux caméras ; si elle est inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles, elle peut jeter un oeil ». L’épouse de Michel, elle, a un cycle de sommeil ordinaire : « Elle a besoin de huit heures de sommeil : elle me fait le coup toutes les nuits ! », plaisante-t-il. Une situation parfois peu évidente au sein de son couple : « L’autre jour, pour faire plaisir à ma femme, nous sommes allés au cinéma : c’est horrible pour moi, car j’ai très envie de m’endormir. Alors pour rester éveillé, je mangeais du pop corn salé en buvant un coca» Des méthodes peu singulières qui étonnent ses médecins : « Ils me disent qu’il n’y a que moi qui puisse me soigner ! »

« Un cadeau de la vie »

Parfois, Michel le reconnaît, la solitude est difficile à porter quand on est éveillé en quasi continu : « Ma journée a commencé il y a 15 ans ! », sourit-il. Mais le quinquagénaire, très spirituel, refuse de se laisser abattre : « Je n’ai pas prié pour être l’homme qui ne se couche pas. Je me dis que c’est une énergie qui vient de là-haut : j’ai accepté cette vie, je ne veux pas la subir ». Loin de subir, Michel revendique même son titre « d’homme qui ne se couche jamais », un statut qui pourrait être unique au monde. À l’entrée de son cabaret, tout comme dans la salle de spectacle, des affiches rappellent que c’est bien ici que travaille Michel Forever, « l’homme qui ne s’est pas couché depuis 2004 ». Ce slogan est même devenu le titre de la biographie de l’artiste, parue en 2017, écrite par son ami, l’humoriste Pierre Passot.

Car Michel Forever représente des artistes, pour la plupart magiciens, humoristes ou chanteurs, souvent en spectacle à l’étranger, au Japon ou aux États-Unis. « Qui peut-on appeler à 2h du matin en étant sûr de ne pas le réveiller ? Toute l’énergie que j’ai, j’essaie de la partager. » L’artiste entend ainsi mettre son dynamisme quasi ininterrompu au service de ses proches qui ont besoin d’aide, de conseils ou simplement d’être consolés. Michel Forever raconte qu’un journaliste l’avait un jour qualifié de “veilleur” : toujours debout, vigilant, prêt à aider les gens. Une image qu’il revendique et apprécie. Michel Forever va même plus loin : pour lui, ce rythme de vie atypique, dû à sa pathologie, est « une grâce, un cadeau de la vie»

 

Photo de couverture : Jeanne Daucé