Alors que les géants de la télécommunication se battent pour proposer des forfaits box internet accessibles à chacun et que la 5G mobile arrive en France, quelques cybercafés continuent de tirer leur épingle du jeu. Leur clientèle nocturne est l'un de leur principaux atouts.
«Sors de ta cache et go désamorcer la bombe !» Au sous-sol du Milk, le plus grand cybercafé de Paris situé à proximité du forum des Halles, une drôle de tension s’est installée. Il est une heure du matin, ce lundi soir de février, lorsque l’un des joueurs s’époumone sur un coéquipier. L’ordre lui est intimé de tenter le tout pour le tout, dans l’espoir de remporter la partie. Derrière les ordinateurs de l’espace gaming, ils sont une quinzaine de jeunes gens, âgés de 24 à 32 ans, à s’affronter en réseau sur Counter Strike , jeu vidéo sorti en… 2000. Plus de la moitié des ordinateurs de la salle sont occupés. Si certains clients ont pris le forfait 3 heures (8 €), d’autres ont opté pour le forfait 10 heures (15 €) dans l’optique de rester jusqu’au lever du jour.
C’est le cas de Benoît, 26 ans, étudiant en géographie le jour, amateur de jeux vidéo la nuit. «Si je viens ici, c’est avant tout pour retrouver mes potes et m’amuser dans des conditions optimales ». Il faut dire que le Milk, avec sa cinquantaine de postes consacrés au gaming et ses près de 300 jeux, s’impose comme un lieu de référence pour les adeptes de jeux vidéo. D’autant que le cybercafé est ouvert 24h/24, sans interruption.
Dans l’espace gaming feutré qui n’a pour seules lumières que les LED qui s’échappent des claviers et souris, les joueurs sont unanimes : venir passer la nuit dans un cybercafé et payer ses parties, en 2019, non, ce n’est pas démodé. La discussion est possible uniquement pendant les temps de recharge de forfait ou de boisson. « Ici, les gens jouent très sérieusement. Personne n’est sur son téléphone portable ou en train de regarder la télévision, comme c’est souvent le cas lorsqu’on joue en ligne », dégaine Sylvain, 27 ans, grand maigre au crâne rasé.
Un autre jeune homme du même âge, Bastien, commande un café. « Le même que d’habitude, avec beaucoup de latte », lance-t-il. Il poursuit, en soufflant sur sa mousse de lait : « Je viens deux à trois fois par semaine m’entraîner ici pour des tournois d’e-sport». Les aiguilles de l’horloge indiquent trois heures trente du matin.
« Ici la nuit c’est un peu comme la salle du temps dans Dragon Ball Z »
Un peu plus tard dans la nuit, des cris provenant de l’espace travail, troublent l’attention des joueurs. Une personne est en train de se faire virer de l’établissement par le responsable du cybercafé. Ce dernier traîne l’inconnu par terre en le tirant par la veste et ne lui laisse guère le choix : il doit quitter les lieux. Son erreur ? S’être endormi sur le canapé. Il est pourtant interdit de somnoler dans le cybercafé, même muni d’un forfait, au risque d’être sorti manu militari. La scène ne dérange pas plus que ça les clients environnants, qui replongent rapidement le nez dans leurs affaires. « Ça arrive toutes les nuits », marmonne une dame, la cinquantaine, casque sur les oreilles. La plupart d’entre eux visionnent un film ou une série. Sur l’un des écrans, il est possible de distinguer Daniel Auteuil, jeune, dans le classique de 1980 Les Sous-doués.
Un peu plus loin, un regard balaie régulièrement la pièce. Il s’agit de l’un des clients. L’homme, d’une quarantaine d’années, s’appelle Ibrahima. A côté de lui, une grosse valise à roulettes. Ses doigts pianotent sur le clavier, il écrit à un proche. Il confie : « Je n’ai pas d’internet chez moi et mon forfait téléphone est limité. Donc de temps en temps, je passe la nuit ici, pour parler avec ma famille et regarder des films ».
A l’accueil, le responsable de nuit (il refuse de donner son nom) explique que si la clientèle du jour diffère de celle de nuit, les activités aussi. « La journée, les gens cherchent principalement à imprimer des documents, des exposés, des mémoires, des billets d’avion », détaille l’homme, en pleine forme malgré l’heure. « Ici la nuit c’est un peu comme la salle du temps dans le manga Dragon Ball Z : les clients viennent, se posent devant un ordi et ne voient pas le temps passer ! », poursuit-il. « Pour nous, cybercafés, ça nous permet de faire rentrer des sous en continu. Et surtout, de revenir à notre activité originelle : proposer un lieu où chacun peut venir se divertir ».
Photo de couverture : Guillaume Gosalbes